La septicémie se manifeste lorsque le système immunitaire réagit de manière excessive à une infection. C’est une condition potentiellement mortelle : à l’échelle mondiale, elle est responsable d’environ 11 millions de décès chaque année, représentant 20 % de l’ensemble des décès.

Ce problème ne touche pas uniquement les adultes. En 2020, 2,4 millions de nouveau-nés ont perdu la vie à cause de la septicémie durant le premier mois de leur existence, la majorité de ces décès ayant eu lieu en Afrique subsaharienne.

Le traitement principal de la septicémie repose sur l’utilisation d’antibiotiques. Cependant, l’abus et la mauvaise utilisation de ces médicaments, tant en médecine humaine qu’en agriculture, ont conduit à l’émergence de la résistance aux antimicrobiens. Ce phénomène se produit lorsque les bactéries, les champignons et les parasites acquièrent la capacité de résister aux traitements médicamenteux.

L’Organisation mondiale de la santé qualifie la résistance aux antimicrobiens de l’une des plus grandes menaces pour la santé publique et le développement à l’échelle mondiale.

Cette résistance croissante est attribuée à l’usage excessif et inapproprié des antibiotiques dans les soins de santé et l’agriculture. Ces substances sont souvent utilisées en grande quantité pour favoriser la croissance des cultures et dans les aliments pour animaux afin de prévenir les infections chez le bétail.

Des prévisions indiquent qu’en 2050, le nombre de décès dus à la résistance aux antimicrobiens pourrait surpasser celui des décès causés par le cancer et le diabète réunis.

Impact en Afrique subsaharienne

L’Afrique subsaharienne est l’une des régions les plus touchées par les décès liés à la résistance aux antimicrobiens (y compris la septicémie), avec un taux de 23,5 décès pour 100 000 habitants.

Dans notre dernière étude, nous avons découvert que des échantillons prélevés chez des mères et des nouveau-nés de moins d’une semaine au Nigeria contenaient déjà des bactéries résistantes à la colistine. Étonnamment, ni les bébés ni leurs mères n’avaient été traités avec cet antibiotique.

La colistine est l’un des derniers antibiotiques encore efficaces contre certaines infections, comme la pneumonie, et est considérée comme cruciale pour la médecine humaine par l’Organisation mondiale de la santé.

Nous pensons que les mères ont pu contracter ces bactéries résistantes à la colistine à partir de leur environnement. Les bébés, quant à eux, pourraient avoir été exposés à ces bactéries à l’hôpital, dans leur communauté ou par le biais de leurs mères. Il reste à déterminer si ces bactéries résistantes persistent chez les mères ou les bébés, car cela pourrait augmenter le risque d’infections futures résistantes aux médicaments.

Méthodologie de l’étude

Les échantillons prélevés chez les nouveau-nés et leurs mères dans notre étude ont été collectés entre 2015 et 2017 dans trois hôpitaux à Kano et Abuja. Cette recherche représente le plus grand dépistage de microbiote intestinal pour la résistance à la colistine au Nigeria.

Parmi les 4 907 échantillons analysés dans nos laboratoires de Cardiff et d’Oxford, nous avons constaté que 1 % des échantillons présentaient des gènes de résistance à la colistine, provenant de 41 mères et de huit bébés. Bien que ce pourcentage soit faible, il est extrêmement préoccupant que des bébés aient été porteurs de bactéries résistantes à la colistine dès leur première semaine de vie.

La colistine est rarement utilisée dans les hôpitaux et cliniques au Nigeria. Nos résultats suggèrent donc que cette résistance pourrait provenir de l’utilisation croissante de la colistine dans le secteur agricole du pays. Nous poursuivons nos recherches avec des collaborateurs au Nigeria pour mieux comprendre les niveaux de résistance tant dans le système de santé que dans un contexte plus large.

Risques de l’utilisation des antibiotiques en agriculture

À l’échelle mondiale, plus d’antibiotiques sont prescrits aux animaux qu’aux humains. La majorité de cette consommation n’est pas destinée à traiter des infections, mais plutôt à prévenir celles-ci ou à favoriser une croissance plus rapide des animaux.

En 2016, des gènes de colistine mobile (mcr) ont été découverts dans des bactéries E. coli provenant d’une ferme porcine en Chine. Ces gènes confèrent une résistance à l’antibiotique colistine et peuvent se propager entre les bactéries, aggravant ainsi la résistance à la colistine.

Cette découverte a conduit à un interdiction totale de l’utilisation de la colistine en agriculture en Chine.

En février 2022, les lois européennes ont été élargies pour interdire l’ajout d’antibiotiques dans les aliments pour animaux, afin de prévenir les infections avant qu’elles ne surviennent.

Cependant, dans une étude publiée en 2023, nous avons constaté qu’alors que les pays européens ont interdit l’utilisation de la colistine en agriculture, ils continuent paradoxalement d’exporter des aliments pour animaux contenant de la colistine vers des pays à revenu faible et intermédiaire, comme le Nigeria.

Il semble peu éthique de tirer profit de la vente de produits interdits en Europe à des pays en développement qui manquent de telles réglementations, surtout lorsque ces pays souffrent déjà de certains des taux les plus élevés de résistance aux antimicrobiens au monde pour des antibiotiques courants, et que les alternatives de traitement sont soit prohibitivement coûteuses, soit totalement inaccessibles.

Les estimations suggèrent qu’en 2022, près de 100 000 tonnes d’antibiotiques ont été utilisées pour élever des bovins, des ovins, des volailles et des porcs. Cette utilisation devrait augmenter de 8 % d’ici 2030, entraînant une hausse directe des infections résistantes aux antibiotiques.

Appel à une interdiction totale

Il est impératif d’instaurer une interdiction mondiale de l’utilisation indiscriminée de la colistine en agriculture afin de préserver cet antibiotique essentiel pour les situations d’urgence.

Cependant, cela nécessite un équilibre délicat. Une interdiction sans solutions alternatives risque d’affecter la production alimentaire et de nuire aux moyens de subsistance des agriculteurs dans des contextes déjà difficiles. De plus, avec une population mondiale qui devrait augmenter d’environ 2 milliards d’ici 2050, la demande de viande abordable ne fera qu’augmenter.

Un investissement urgent est également nécessaire dans les programmes de prévention et de contrôle des infections hospitalières, ainsi que dans l’amélioration des installations d’eau, d’assainissement et d’hygiène dans les exploitations agricoles, afin de limiter la propagation des bactéries résistantes aux antibiotiques dans ces environnements.

Les antibiotiques ne devraient être administrés aux animaux que lorsqu’ils sont malades. Ces antibiotiques devraient être choisis parmi ceux que l’Organisation mondiale de la santé a classés comme étant « moins importants » pour la santé humaine, plutôt que parmi ceux considérés comme « de la plus haute priorité/critiquement importants ».

En septembre 2024, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, des dirigeants de gouvernements, d’industries, d’institutions financières et d’organisations scientifiques se réuniront pour une réunion de haut niveau de l’ONU sur la résistance aux antimicrobiens.

Cette réunion représente une occasion opportune pour les dirigeants mondiaux de fixer des objectifs visant à réduire l’utilisation d’antibiotiques en agriculture et à soutenir les agriculteurs des pays à revenu faible et intermédiaire dans l’amélioration des pratiques d’hygiène sur leurs exploitations.

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