Il est souvent dit, presque comme un lieu commun, que l’Europe est un bon point de départ pour une entreprise technologique, mais qu’elle représente un environnement difficile pour son expansion.
Les raisons de cette situation sont débattues, mais leur impact est indéniable. Actuellement, aucune des dix entreprises technologiques les plus précieuses au monde ne se trouve en Europe, tandis que les États-Unis en abritent huit.
Cette réalité crée inévitablement une dépendance vis-à-vis des services numériques provenant d’Amérique. Nos entreprises, nos services publics et nos infrastructures critiques reposent tous sur les géants de la technologie.
Nous sommes donc à la merci de leurs décisions, de leurs faiblesses et de leurs dirigeants. Lorsqu’une de ces entreprises rencontre des difficultés, les répercussions peuvent secouer tout un continent.
Un exemple frappant a eu lieu la semaine dernière avec une panne informatique historique. Ce chaos mondial a été causé par une simple mise à jour logicielle de la société texane CrowdStrike, qui a provoqué l’effondrement instantané de millions d’ordinateurs fonctionnant sous Microsoft Windows.
Cette défaillance a rapidement eu des conséquences désastreuses en Europe : des vols ont été annulés, des paiements bloqués et des opérations suspendues. Les échanges boursiers ont été interrompus, des chaînes de télévision ont cessé d’émettre, et les systèmes gouvernementaux ont connu des pannes majeures.
Cette situation a mis en lumière le pouvoir immense des grandes entreprises technologiques et a souligné la nécessité de développer des alternatives européennes.
Les enjeux géopolitiques d’une panne informatique
Alors que l’Europe faisait face à cet écran bleu de la mort, la Chine a largement échappé à cette tourmente. La raison en est simple : le logiciel de CrowdStrike n’est pas largement utilisé en Chine, qui privilégie des solutions locales.
De même, la Russie a également évité en grande partie cette perturbation, ayant été contrainte par les sanctions de développer des remplacements nationaux pour les logiciels américains.
Heureusement, l’Europe n’a pas subi la même pression géopolitique que la Chine et la Russie. Cependant, le continent peut tirer des leçons de leur autonomie.
Bien que nous ne partagions pas leur hostilité envers les États-Unis, nous sommes néanmoins pris dans des tensions similaires.
Nos entreprises sont déjà affectées par ces conflits. La société technologique la plus précieuse d’Europe, le géant néerlandais des semi-conducteurs ASML, a été empêchée de vendre son matériel à la Chine. De plus, l’Europe a subi les conséquences des droits de douane imposés par la Maison Blanche.
Avec un nouveau protectionnisme « America First » qui se profile, le besoin de souveraineté technologique devient de plus en plus pressant.
Comme l’a démontré la panne informatique, notre infrastructure numérique est déjà suffisamment fragile. Des développements politiques peuvent transformer ces fissures en véritables désastres.
Aron Brand, directeur technique de la startup de sécurité des données CTERA, a qualifié cette panne de »signal d’alarme » pour la sécurité nationale.
Cette situation a visiblement éveillé les consciences au sein de l’UE. Alex Agius Saliba, député européen du Parti travailliste maltais, a déclaré que les conséquences de cette panne soulignaient un besoin « urgent » de renforcer l’infrastructure numérique. Alexandra Geese, députée européenne des Verts allemands, a appelé à la création d’un nouvel environnement informatique en Europe.
« L’incident mondial de Microsoft montre à quel point un monde dépendant de quelques acteurs technologiques est vulnérable », a-t-elle affirmé.
Pour échapper à cette dépendance, l’Europe devra bâtir ses propres géants technologiques. Des changements significatifs en matière de politique, de culture et de financement seront nécessaires. Cependant, le talent est déjà présent, les innovations émergent, le marché est suffisamment vaste, et le besoin n’a jamais été aussi pressant.