Les lois sur la laideur : Un regard sur un passé troublant
Des études ont révélé que l’apparence physique peut influencer les relations interpersonnelles, la réussite scolaire et les opportunités professionnelles. Mais que se passerait-il si le fait d’être perçu comme peu attrayant n’était pas seulement un obstacle social, mais également une infraction pénale ? Entre le milieu du 19e siècle et le milieu du 20e siècle, des lois appelées « lois sur la laideur » interdisaient aux personnes jugées « peu attrayantes » d’accéder à certains lieux publics aux États-Unis.
Alors que le concept de « privilège de la beauté » est souvent discuté — les avantages non mérités dont bénéficient ceux qui correspondent aux normes esthétiques de notre culture — ces lois ont poussé les conséquences de ne pas répondre à ces critères à un niveau extrême. Voici ce que ces lois méconnues révèlent sur les critères de beauté de notre société et leur impact sur ceux qui ne correspondaient pas à cet idéal.
Émergence du privilège de la beauté
Avec l’expansion des villes et l’augmentation de la population dans les espaces publics, l’accent a été mis sur le maintien de l’ordre et de l’esthétique dans les environnements urbains. San Francisco a été la première ville à criminaliser le fait pour « toute personne malade, mutilée ou déformée de manière à être considérée comme un objet peu attrayant » de « se montrer en public » en 1867.
Cette législation s’est rapidement répandue dans d’autres villes et États, notamment à Reno, Portland, Chicago, La Nouvelle-Orléans et en Pennsylvanie. Elle visait principalement les personnes ayant des handicaps visibles et faisait partie d’un effort plus large pour réguler le comportement public et imposer des normes sociales, souvent en parallèle avec des restrictions sur l’intégration raciale, l’immigration et la mendicité, selon Susan M. Schweik, auteur de The Ugly Laws: Disability in Public.
Certains justifiaient ces lois comme des mesures de santé publique, croyant à tort que la vue d’une personne handicapée pouvait rendre un individu en bonne santé malade. D’autres soutenaient que permettre aux personnes handicapées de mendier favorisait les imposteurs qui simulaient un handicap. Ces lois semblaient être motivées par un profond dégoût.
Dans ses mémoires de 1869, The Great Metropolis, le journaliste Junius Henri Browne écrivait que « lorsqu’on se rend à un dîner ou qu’on se prépare à rencontrer un être cher, il n’est pas agréable d’être confronté à une vision répugnante ». Ces lois ont coûté à certaines personnes leur moyen de subsistance, forçant les vendeurs de rue, les mendiants et les artistes à abandonner leur travail, car leur présence perturbait le plaisir public des espaces urbains.
Par exemple, dans les années 1910, un homme de 35 ans à Cleveland, atteint de malformations aux mains et aux pieds, a dû renoncer à son emploi de vendeur de journaux à cause de la loi. Il a eu du mal à subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille jusqu’à ce qu’un propriétaire de pharmacie local lui permette de vendre devant le magasin, sur une propriété privée.
« Helen Keller et Franklin D. Roosevelt n’étaient pas les cibles de cette loi », explique Schweik. « Sa fonction principale était d’empêcher ou de décourager les personnes ayant des handicaps visibles de se trouver dans l’espace public en demandant de l’argent. »
Certains partisans des lois pensaient que déplacer les personnes handicapées des rues vers des institutions leur offrirait de meilleures conditions de vie. Cependant, cette approche a conduit à une marginalisation accrue, privant les individus handicapés de leur droit à l’autodétermination et les isolant du reste de la société.
Toutefois, tous n’étaient pas en faveur des lois sur la laideur. Certains maires ont commencé à délivrer des permis de vente ambulante spécifiquement pour les personnes handicapées afin de protéger leurs revenus, et des passants intervenaient souvent lorsque la police tentait d’effectuer des arrestations, rendant l’application de la loi difficile.
Par exemple, en 1936, lorsqu’un policier de Chicago a tenté d’arrêter Ben Lewis, un amputé noir, en lui donnant un coup de pied à la jambe valide, quatre témoins blancs ont attaqué le policier tandis que des centaines d’autres se rassemblaient autour d’eux.
Les répercussions durables des lois sur la laideur
Bien que les lois sur la laideur ne soient plus en vigueur — la dernière arrestation liée à une telle loi ayant eu lieu en 1974, sous une ordonnance d’Omaha, Nebraska — leur héritage continue d’influencer les attitudes envers le handicap et l’espace public.
« Au lieu de lois publiques sur la laideur, les villes ont désormais des plans de gestion des trottoirs pour prévenir ou dissuader certains comportements jugés inappropriés, comme rester trop longtemps sur la rue, s’y asseoir, dormir ou être en situation de besoin manifeste », explique Schweik.
Cependant, les lois sur la laideur ont également eu un effet positif. Les défenseurs des droits des personnes handicapées dans les années 1970 ont utilisé ces lois comme un exemple choquant de discrimination, soulignant leur besoin de protections des droits civiques. Leur activisme a conduit à l’adoption de la loi sur les Américains handicapés en 1990, qui exige des entreprises et des gouvernements qu’ils fournissent des aménagements pour les personnes handicapées.