La Décision Judiciaire et l’Avenir des Bibliothèques Américaines
Une Promesse Ébranlée
Ayant grandi dans les années 1980 et 1990, j’ai vu les bibliothèques publiques comme des institutions essentielles, offrant à chacun la possibilité de réaliser le rêve américain. À Chantilly, en Virginie, où j’ai passé mon enfance, l’accès à l’éducation n’était pas conditionné par la possession d’un ordinateur ou par des ressources financières illimitées pour des cours particuliers. La bibliothèque publique offrait une éducation gratuite et illimitée. Cependant, un récent jugement de la Cour d’appel des États-Unis pour le deuxième circuit, qui a statué contre l’Internet Archive au profit de l’éditeur Hachette, remet en question cette promesse d’égalité en restreignant l’accès des bibliothèques au prêt numérique.
L’État Actuel du Prêt Numérique
Pour saisir l’importance de cette situation, il est crucial de comprendre les défis auxquels font face les bibliothèques en matière de prêt d’e-books. Traditionnellement, une bibliothèque pouvait prêter un livre autant de fois qu’elle le souhaitait après l’avoir acheté. Les livres provenaient souvent des éditeurs, mais pouvaient également être acquis par le biais de dons ou de ventes de livres d’occasion. Une fois qu’une bibliothèque possédait légalement un livre, elle en avait le contrôle total.
Cependant, la situation est différente pour les livres numériques. Pour offrir des e-books à leurs usagers, les bibliothèques doivent payer les éditeurs à plusieurs reprises. Elles doivent d’abord s’abonner à des plateformes d’agrégation comme Overdrive, qui, à l’instar des services de streaming, contrôlent entièrement le contenu disponible. Les bibliothèques n’ont pas leur mot à dire sur les ajouts ou suppressions de titres, ces décisions étant prises à des milliers de kilomètres de leurs communautés.
De plus, les bibliothèques doivent acheter chaque exemplaire numérique de chaque titre qu’elles souhaitent proposer. Ces e-books sont souvent vendus à des prix exorbitants, atteignant jusqu’à 300 % du prix de détail, et sont soumis à des limitations de temps et de prêt, ce qui signifie qu’ils deviennent inaccessibles après un certain nombre d’emprunts. Pour maintenir un titre dans leur collection, les bibliothèques doivent le racheter à un nouveau prix.
Les Conséquences Financières et Éthiques
Cette nouvelle dynamique impose une pression financière énorme sur les bibliothèques et les contribuables qui les soutiennent. De plus, elle soulève des préoccupations en matière de confidentialité. Alors que les bibliothèques sont limitées dans les données qu’elles peuvent collecter sur les lecteurs, les entreprises privées n’ont pas de telles restrictions.
Certaines bibliothèques ont exploré une alternative : le prêt numérique contrôlé (CDL). Ce processus consiste à numériser les livres physiques de leur collection, à créer des copies numériques sécurisées et à les prêter sur une base de ratio « propriété à prêt ». L’Internet Archive a été un pionnier de cette méthode.
Lorsqu’une copie numérique est empruntée, l’exemplaire physique est retiré du prêt ; inversement, lorsque le livre physique est emprunté, la version numérique devient indisponible. Les avantages pour les bibliothèques sont évidents : les livres fragiles peuvent être prêtés sans risque de dommages, et les ouvrages anciens peuvent être préservés et rendus accessibles.
Un Conflit avec les Éditeurs
Malheureusement, ce modèle n’est pas du goût des éditeurs. En 2020, quatre d’entre eux ont poursuivi l’Internet Archive concernant son programme CDL, arguant que celui-ci violait massivement les droits d’auteur. L’Internet Archive a défendu son programme comme étant un usage équitable. Le tribunal a finalement tranché en faveur des éditeurs, et le 4 septembre, la Cour d’appel a confirmé cette décision avec quelques modifications.
Cette décision nuit aux bibliothèques en les enfermant dans un écosystème d’e-books conçu pour maximiser les profits tout en collectant des données sur les lecteurs. Elle laisse les habitudes de lecture des communautés locales à la merci de décisions prises par quelques grandes entreprises d’édition, éloignant ainsi les citoyens d’un des derniers bastions de protection de la vie privée.
L’Appel à l’Action
De plus, cette décision compromet la doctrine de l’usage équitable, essentielle pour des domaines tels que la parodie, l’éducation et le journalisme. Si les tribunaux ne reconnaissent pas le prêt basé sur le CDL comme un usage équitable, il incombe désormais au Congrès d’agir. Les bibliothèques sont en crise, confrontées à des budgets en baisse et à une demande croissante de services. Il est impératif que le Congrès intervienne pour protéger ce pilier d’égalité dans nos communautés, afin qu’il ne soit pas sacrifié sur l’autel du profit.